Qu’est-ce que la conscience de soi ?
Y a-t-il un enjeu spirituel à être conscient de soi ? Peut-on vivre sans conscience de soi, comme un automate, sans se poser de questions spirituelles d’aucune sorte ?
Serait-ce une vraie vie ou bien une sous-vie, une vie d’esclave, comme le suggérait Platon dans l’allégorie de la caverne ?
Qui suis-je ?
Sommes-nous notre corps ?
Sommes-nous notre personnage social, qui porte un nom, qui a une histoire en fonction d’un parcours de vie ?
Sommes-nous un esprit individualisé, une entité ayant une existence propre et séparée de la conscience universelle ?
Ce sont là des questions que se pose l’être humain depuis toujours. C’est un questionnement fondamental, qui nous rapproche de l’émotion métaphysique, parce qu’un pressentiment que nous ne sommes pas ce que nous croyons nous pousse à nous interroger sur notre véritable identité…
Vous n’êtes pas votre personnalité
On se prend généralement pour sa personnalité :
- une personne qui a une vie, un âge, un sexe, une famille, un métier
- une personne qui a une histoire, qui contient “des” histoires, qui sont autant de conditionnements qui créent des comportements répétitifs
- une personne finalement, relativement déterminée par son passée, donc relativement figée et enfermée aux plis de l’habitude
La personnalité est une agrégation de pièces rapportées, comme l’habit du « bateleur ».
La symbolique du Tarot indique d’ailleurs que le Bateleur (la personne qui se lance dans la vie horizontale et sociale) a mis son stand à la foire et montre à voir aux badauds, un personnage haut en couleurs.
Comme un camelot, il se met en scène pour vendre… Il parle fort, fait de grands gestes pour attirer l’attention. Il cherche à éblouir, à capter l’attention… Comme un cabotin, il s’écoute et s’admire lui-même, se prenant à tort pour l’image que lui renvoient les autres. d’où le vêtement rapiécé, fait de bric et de brocs, et qui manque de cohérence. Et on voit bien que notre pauvre personnalité est bien fragile, et qu’elle manque toujours de cohérence et de consistance, même (et surtout) dans le cas des “fortes personnalités”, qui sont souvent des egos forts, qui doutent d’eux-mêmes, au fond.
Pourtant l’être qui est dans l’habit du bateleur n’est pas ce qu’il montre à voir, de même que vous n’êtes pas votre personnalité. La personnalité n’est qu’un assemblage disparate et incohérent de pièces rapportées ça et là au gré des interprétations que vous vous êtes faites inconsciemment, à partir des images que les autres vous ont renvoyées de vous-même…
Nota : nous utilisons la métaphore du bateleur, pris dans son sens profane. Mais, dans une perspective initiatique, le Bateleur peut aussi représenter l’initié au début de son parcours. Et dans un autre sens encore, d’un degré encore supérieur, il peut également représenter l’Ergon, qui commence son Agriculture céleste, après sa Révélation (voir schéma de la route christique dans notre article sur “l’alchimie intérieure“)
Cesser de s’identifier à la personne
Nous nous projetons sans cesse par la pensée, nous vivons dans notre tête à force de penser, au lieu d’être dans nos sensations corporelles et d’accueillir la pensée comme un simple événement parmi d’autres. Les pensées sont des objets, comme les sensations ou les perceptions. Ce sont des évènements impertinents qui surgissent dans le champ de la conscience, qui elle seule est permanente.
Au lieu de voir cela clairement, nous sommes fascinés par nos pensées et nous nous identifions à leur contenu.
C’est à tel point vrai que nous finissons par ne vivre que par procuration de nos pensées. Comme quelqu’un qui ne vivrait pas sa vie, mais en lirait un compte rendu ou ne ferait que de regarder un film biographique à propos de sa vie, le film de ses propres pensées…
Nous croyons mériter ou démériter, nous faisons des efforts, nous essayons, nous nous jugeons et nous sentons coupables, etc… (voir à ce sujet notre article sur les “ténèbres incréées“). Et cela représente véritablement une ronde infernale, dont il faut absolument s’extirper !
Il faut cependant un certain temps pour devenir conscient de soi, et ne pas se prendre pour la personne.
- Après avoir aperçu ce qu’on est vraiment, de façon furtive, il reste encore à développer en plénitude la conscience de soi.
- Et puis il faut aussi que se dissolvent peu à peu les mémoires enkystées dans le corps, tandis que l’ego, devient de moins en moins opaque, de plus en plus transparent (voir notre article : “Quest-ce que l’ego ?“
Deux plans de conscience de soi
En examinant de près la conscience qu’on a de soi, on constate qu’il y a deux plans de conscience de soi même :
- l’avant-plan, la conscience des objet et des évènements (pensées, sensations, etc…)
- l’arrière plan, la conscience de soi, indépendante des situations et des évènements
Et quel que soit l’endroit où on place sa conscience en soi-même, il y a toujours conscience des deux plans :
- De l’avant-plan de l’expérience, je peux sentir la Présence d’un autre aspect de la conscience de soi, qui se tient en arrière plan.
- A l’arrière plan, depuis une conscience élargie, j’embrasse l’avant plan, sans être submergé par lui, sans perdre le contact avec la pleine conscience de soi
La position, en avant de soi-même, semble se concentrer dans le front. L’attention est focalisée sur un point précis en face de soi : une question, un mot, un détail…
L’autre position est vécue comme étant plus en arrière de soi, comme si elle venait de la nuque. Comme quand vous vous appuyiez sur votre dossier de chaise , et que vous embrassez la situation dans sa globalité depuis une position en recul. En fait, c’est comme si vous vous situiez alors dans un espace plus vaste que vous.
Dans une relation avec autrui, si vous prenez cette seconde position, vous voyez à la fois votre propre point de vue, celui de l’autre, et en même temps l’ensemble de la relation. Les personnes ayant une forte expérience de la relation d’aide et de l’écoute flottante situeront aisément dans leur propre expérience à quelles sensations je fais référence…
Dans la deuxième position, prenant appui à l’arrière plan de la conscience, tout semble être à l’intérieur de soi. On voit les choses avec à la fois, plus de recul et plus de « présence »… Il n’y a plus cette dichotomie entre sujet (à l’intérieur) et objets (principalement à l’extérieur).
Conscience de soi : sujet/objet
Dans la première position, on est centré sur les objets. Les objets, ce sont les choses que l’on a l’impression d’observer de l’extérieur.
Tandis que le sujet, c’est soi-même. Et on ne peut jamais percevoir le sujet que nous sommes, comme s’il était un objet, puisque ce n’en est pas un. Autrement dit, l’ego ne peut pas s’éveiller spirituellement ! Et d’une certaine manière, il n’y a aucun éveil, aucune libération, parce que la conscience que nous sommes est libre et éveillée depuis toujours, malgré les opacités de surface. C’est comme si la conscience jouait à se perdre elle-même. Mais jamais cela ne se produit. Ce n’est qu’un jeu…
Voici à ce propos, et pour illustration de la parole d’un grand sage, ce que répond Sri Ramana Maharshi à un visiteur qui l’interroge sur l’expérience du Soi :
Le Soi, est le champ de conscience dans lequel les choses apparaissent et disparaissent. On constate qu’il y a un sujet, parce que quelqu’un est conscient des objets. Et c’est ce quelqu’un, qu’on nomme “je”, “moi”. C’est le sujet, qui contient tout, (car tout a lieu en lui, dans le champ de la conscience qu’il est)…
Les deux plans de conscience de soi sont complémentaires
Il n’est pas question de dire qu’une position serait meilleure que l’autre. Car les deux niveaux de conscience sont complémentaires. Comme nous l’avons expliqué plus haut, ils sont vécus simultanément lorsqu’on prend appui sur la deuxième position (qui, en quelque sorte : englobe et inclut la première)
L’émotion, loin de nous détourner de la conscience de Soi, est au contraire une voie royale pour nous mettre en contact avec notre propre profondeur.
L’émotion ressentie à l’avant plan de la conscience, au contact des évènements, est un appel de la vie pour nous ramener à elle (littéralement : pour nous ramener à la vie)… Tandis que nous nous tenions figés et partiellement désensibilisé, dans une attitude défensive, comme à côté du flux.
Donc, en fait, ce qui est vécu à l’avant plan nous ramène à l’arrière plan. Et s’installer de mieux en mieux à l’arrière plan permet de vivre l’avant plan avec encore plus d’appétit.
Nota : C’est comme quand le sang réinvestit un membre engourdi. Au début il y a des fourmillements, presque désagréables, parce qu’ils donnent la mesure de l’inertie précédente à travers la dynamique qui se réinstalle. Et puis quel plaisir, quand on retrouve les sensations dans le membre désengourdi.
C’est d’ailleurs une expérience d’écoute sensorielle très intéressante que de rester profondément attentif à ces sensations de la circulation sanguine, qui reprend ses droit dans un membre ankylosé.
Eveil de la conscience non duelle
Le développement de la conscience est un processus naturel et simple, qui peut prendre des formes très variées. Il s’actualise chez certains d’une manière brutale, spectaculaire, déstabilisante peut-être, tandis que chez d’autres il est discret mais tout aussi réel et profond.
Ces deux plans de conscience conjoints sont à la fois stimulants et apaisants. C’est très ordinaire, pas forcément spectaculaire, mais progressivement de plus en plus saisissant.
En effet, on ne s’en aperçoit pas forcément tout de suite. Mais peu à peu, l’arrière plan est de plus en plus présent. Il vient en arrière plan de la conscience de l’avant plan, qui ne disparaît pas pour autant. Les deux se superposent et donnent une vue plus complète, plus riche, plus vivante, comme si on voyait en relief et en couleurs, au lieu de se contenter d’une vue à plat et en noir et blanc.
Rassurons-nous, cela se passe sans rien retirer à l’engagement au premier plan. Au contraire on est encore plus investi dans l’action de la vie de tous les jours. La vie est vécue avec plus d’acuité, quand elle est vécue à travers les deux plans superposés.
Nota : on parle de deux plans, mais c’est une façon de parler parce qu’en fait il n’y a qu’un seul plan, car la conscience est Une. L’attention semble être orientée dans deux directions simultanément : les objets et le sujet. C’est cela qui donne l’impression de deux plans distincts.
L’intensité de la conscience
La vie peut être intense et violente.
Mais ce n’est pas une raison pour s’y croire et prendre tout ça au sérieux. Dans la perspective qui se dégage de cette double expérience de la vie (à partir de la superposition des deux plans simultanés), la vie est légère.
Elle est légère, quand on cesse d’en attendre quoi que ce soit. Il suffit d’accepter, ce qui se présente, au lieu de prétendre négocier, choisir, comparer, refuser… Il suffit d’accompagner le mouvement, comme on se laisse aller à danser. Cela n’empêche pas de réfléchir, de ressentir des désirs, de faire des choix, etc… Mais tout cela est vécu avec aisance, dans la fluidité, sans pesanteur. Sans attente, sans appréhension. On ne se cherche pas dans les choses, puisqu’on a déjà été “trouvé” par la Présence au fond de Soi.
Du coup, tout est plus libre. Ce qui se présente est toujours neuf à chaque instant, (malgré les réflexes d’avant, qui se manifestent encore, et voudraient reconnaître et répertorier, associer, étiqueter). Cet automatisme lui-même est vu aussi, et progressivement brûlé, éventé, dissout, désintégré, par le fait d’être vu (et accepté aussi)… Il reste la Présence, qui accueille ce qui est, d’une manière alerte et tranquille.
Un exercice de conscience de soi
Le matin au réveil avant de penser à quoi que ce soit, voyez si vous pouvez simplement rester neutre, sans revêtir d’identité. Demeurer simplement dans les sensations, sans intention, sans objectif. Si une préoccupation s’élève, laissez la s’élever, sans la suivre, ni non plus mettre d’étiquette dessus.
Respirez. Ou plutôt : laissez-vous être respiré. Ne faites rien. Jouissez de la quiétude, lorsqu’il n’y a “personne” encore en vous qui s’approprie l’expérience directe. Personne pour faire, personne même pour être. Il y a juste l’être, sans personne pour dire “c’est moi qui suis”. (voir notre article : “je suis“)
Dans ces quelques instants de grâce, vous serez conscients de la vie qui se manifeste à travers vous, avant même d’être re-devenu “vous”. Vous serez ainsi simplement dans la conscience de soi, avant l’appropriation inopportune par votre petit “moi”…
(Cet exercice est développé dans cet article : “Mourir à soi-même“)
Conscience de soi en amont des pensées
On pourrait dire que méditer consiste à être conscient d’être conscient.
Pour autant l’exercice ne consiste pas à “vouloir” être conscient de sa conscience, mais à se reposer dans la conscience d’être conscient.
Dans cet état naturel, il n’y a pas de vouloir être naturel, il y a juste le fait (ou le processus) d’être, et d’être conscient d’être, ce qui revient à dire : être conscient d’être conscient.
Cesser de se laisser absorber par l’objet de notre attention pour diriger l’attention vers le sujet qui est conscient des expériences.
Etre attentif à ce qui perçoit (et non plus seulement à ce qui est perçu), à ce qui est conscient.
Etre attentif à soi en tant que sujet du processus de conscience des choses.
Dans ce cas de figure unique, la conscience est à la fois ce qui perçoit et ce qui est perçu ! Je me repose dans l’essence même de ma nature profonde : la conscience. Et rien d’autre. C’est un état proche de la méditation en pleine conscience.
Engagement et liberté
La Tradition propose les trois voeux, pour nous aider à nous maintenir bien aligné dans l’axe de nos engagements.
Comme nous venons de le dire, en se désidentifiant des objets perçus par la conscience (même partiellement), on a l’impression de se libérer de leur emprise, tout en s’incarnant davantage dans chaque expérience qui se présente. C’est paradoxal.
Nous avons même la sensation d’être nous-même la substance même de chaque expérience…
Dans ce cas, la vie ordinaire devient une sorte de méditation permanente, hors du coussin, une écoute permanente de ce qui est, en-deçà des aspects fonctionnels du quotidien, avec ses petits objectifs, ses petits désirs résiduels, ses petites peurs et aversions, qui s’épuisent tranquillement, jour après jour…
Tout nous ramène à la conscience de soi
Toute chose perçue ramène à la conscience qui la perçoit, si bien que chaque objet est un panneau indicateur qui pointe vers ce que je suis vraiment, et qui est le point commun de toutes les expériences : la conscience que j’en ai, la conscience que je suis…
Cela dure le temps que cela dure, avant qu’une distraction nous remporte dans le flot du quotidien. Cela prend la forme que cela prend. Cela atteint la profondeur que cela atteint, mais il n’y a pas de contrôle ni d’intention dans cette manière de méditer sans intention.
C’est un grand repos de n’avoir aucune intention, de ne faire “rien”, juste “être”, être conscient d’être.
Pour ne pas faire trop long, cet article s’arrête là. Mais il se poursuit à travers un autre article à propos de “méditer en conscience“, qui expose des techniques de méditation pour accueillir en soi l’état méditatif, qui nous réalignée avec notre nature Essentielle…