Le fantasme d’avoir un maître spirituel, un enseignant infaillible, ayant réponse à tout sans contradictions, et parfaitement disponible pour nous, qui nous guiderait pas à pas comme un parent attentionné est partiellement une projection de l’ego !
Un tel cas de figure ne peut exister.
Parce que ce n’est pas comme cela que se passe sur le Sentier.
Le rôle d’un maître spirituel
Certes, il existe des frères et soeurs plus avancés que nous sur le Sentier, et qui peuvent nous accepter comme élève (ou disciple), faisant d’eux des maîtres (si on doit absolument employer ce vocable). Mais ils ne savent pas tout, ne sont pas parfaits, et ne peuvent pas nous prendre en charge ! Personne ne peut faire le travail intérieur à notre place.
Comme le dit KG Dürkheim, le maître spirituel est engagé sur la même voie que le disciple, mais il a commencé son voyage intérieur avant le disciple. Les deux sont en lien de fraternité mieux de parentalité. C’est romantique de dire que le maître spirituel est un père (ou une mère, si elle est une femme), mais ce n’est pas exact. Nous avons chacun des parents génétiques et c’est bien suffisant. Cela dit, au-delà du fantasme du maître spirituel qui serait notre parent, il est vrai que se noue entre ces deux êtres une relation intime et affectueuse indéfectible, qui va au-delà de l’amour que l’on a avec ses parents.
Un exemple personnel
Dans mon expérience de l’apprentissage du yoga yoga par exemple, je me souviens qu’après chaque cours j’avais plein de questions. Parfois je les posais à mon enseignante, qui était amusée de voir ce jeune homme s’intéresser autant à ses cours et aux postures proposés (j’adorais tout ça que je trouvais absolument passionnant). Mais elle me répondait ce qu’elle pouvait, en fonction de ce que je pouvais comprendre… et aussi en fonction de ce qu’elle savait elle-même (et elle n’avait évidemment pas tout expérimenté et compris, malgré des dizaines d’années d’expérience personnelle).
Je nourrissais à cette époque, et malgré moi, le fantasme d’un maître spirituel qui m’aurait tout enseigné. Mais j’ai vite compris que c’était un fantasme et non une réalité. Chez cette très gentille et respectable dame, il y avait probablement de nombreuses contradictions et lacunes dans ses réponses. Mais la bonne nouvelle, c’est que cela nourrissait mes réflexions, même si cela ne parvenait toutefois pas toujours à me satisfaire. Du coup, je restais en éveil, ouvert à la compréhension, disponible et actif dans mon exploration.
La plupart du temps, je n’osais même pas formuler mes questions, ni non plus ennuyer cette brave dame qui avait besoin de rentrer chez elle comme tout le monde après avoir donné ses cours. Donc, heureusement pour moi, je restais à ruminer mes interrogations, qui me travaillaient sans que je fasse d’effort pour y penser.
Le questionnement est notre véritable maître spirituel
Eh bien, c’est grâce à cela que je fus bientôt étonné de constater que je trouvais par moi-même des réponses, par ma pratique et par mes propres réflexions (et par quelques lectures aussi). Si bien que plusieurs années après, j’entendais des personnes plus âgées que moi et plus anciennes que moi au cours, poser des questions à cette dame, dont j’avais trouvé les réponses tout seul depuis longtemps, sans que personne ne me le dise. C’est aussi pour cela qu’à l’époque, je progressais vite sur les deux plans : conscience corporelle et conscience spirituelle.
Responsable de soi-même
Un peu plus tard, il m’a pris la fantaisie de reprocher à mes parents de ne pas avoir été capable de me guider sur le sentier initiatique (dont ils ignoraient tout). Mais cette fantaisie m’a bien vite quitté, parce qu’ils étaient des êtres très aimants et valeureux par ailleurs, et que justement grâce à leur ignorance des choses initiatiques, j’ai dû faire mon propre chemin et m’arracher par moi-même de la torpeur dans laquelle gisait ma famille à l’époque.
Si aujourd’hui j’ai quelques vertèbres qui tiennent les unes sur les autres, c’est justement lié au fait que j’ai dû les ériger et les consolider tout seul, sans qu’on me conforme. Cela a permis à la vie de sculpter ce qu’elle souhaitait dans la trajectoire qui fut la mienne, sans que des personnes, forcément limitées malgré leurs bonnes intentions, ne se mêlent de trop près de mon éducation.
La grande rencontre
Et bien plus tard, ayant déjà rencontré plusieurs professeurs, quand j’ai enfin connu un maître de vie authentique, jamais ce dernier ne s’est permis d’ingérer dans ma vie, en prenant l’initiative de me donner des conseils. C’est à peine si une fois, il m’en a donné un, tout de même (presque à contre coeur, et après que j’aie eu pris par moi-même ma décision), sur un sujet crucial qui allait impacter toute ma vie et celle de mes proches.
Un vrai maître, comme Jacques Breyer, voit le potentiel de maîtrise chez son disciple et s’adresse directement à cette lumière en devenir, plutôt que de regarder l’ignorant qui y sommeille encore.
Respectant la Vie, il ne s’immisce pas dans ce qui concerne un autre individu, sachant bien que ce dernier a en lui toutes les ressources pour faire les erreurs nécessaires et tracer sa route par rectifications (voir cet article : “Les épreuves de la vie“).
Le maître intérieur
Encore une fois, le maître suprême (qui n’est autre que la vie elle-même) se manifeste d’abord à l’intérieur de soi. Les maîtres extérieurs sont de grands Amis, qui nous précèdent sur le Chemin. Mais ils ne peuvent l’arpenter à notre place. Ils ne tentent pas de se substituer à nous dans l’exercice de notre Responsabilité d’être humain, tant ils ont de respect pour la Vie en nous.
Ils sont passés eux-mêmes par là, et ne sont pas inquiets pour nous. Ils savent par expérience, qu’il faut parfois perdre du temps à chercher en vain (quitte à se perdre provisoirement) pour se laisser enfin trouver…
Qu’est-ce que Jacques Breyer m’a apporté ?
Fréquenter cet homme quelques années, m’a apporté énormément !
L’exemple de sa simplicité rayonnante, de son étonnante vitalité, de son intelligence formidable, de son humilité totale, de son travail acharné et persévérant, de sa bonté fondamentale, de son élégance naturelle, de son dévouement absolu…
Cet homme simple ne m’enseignait rien, il se contentait de vivre et d’accepter d’être en relation avec moi. Et j’ai eu la chance (pas le monopole) d’être en orbite quelques années dans sa vie, tout en vivant la mienne. Le fréquenter d’une manière proche a rempli mon coeur d’émerveillement, et électrisé ma vie entière pour toujours. Je lui suis infiniment reconnaissant. C’est aussi en hommage pour lui, et non seulement par fraternité envers vous et par plaisir personnel, que j’écris ces articles sur ce site, principalement dédié à présenter ses textes.
Jacques, un maître spirituel ?
Pour tout vous dire, je considère évidemment Jacques comme un maître spirituel authentique (et même comme un Ergon majeur de notre époque) mais pas comme “mon” maître, tant cet homme était universel pour qu’on lui accole l’adjectif possessif de “mon”. L’ego n’a pas sa place dans une relation transcendante, forcément un peu déroutante et vertigineuse.
Sans doute est-ce déstabilisant de fréquenter un individu, qui ne cultive en arrière plan aucun intérêt personnel, parfaitement libre de toute attache et en même temps complètement impliqué dans vaque micro situation du quotidien.
Et après la mort physique ?
Jacques Breyer est décédé il y a 24 ans (mort en 1996) et j’ai toujours l’impression joyeuse que nous nous sommes quittés hier, et qu’on va se revoir ces jours-ci… Sa mort fut pour moi une énorme déflagration, mais ne fut absolument pas un drame.
En fait, sans y penser sans arrêt (loin de là), c’est comme si un contact intime était intégré au fond de moi.
Sa métaphysique m’habite presque à chaque instant. Et les exemples de son courage sur humain et de sa bonne humeur jamais prise en défaut, continuent de me plonger dans une admiration sans borne.
Cela dit, je n’ai pas que ça à faire, puisque je dois faire mon propre travail. Comme chacun d’entre nous, je dois prendre une part active à l’émergence en moi des courants de la Vérité. C’est une Joie profonde : je n’en connais pas d’autre de plus grande.
Le fantasme d’un maître spirituel
Pas besoin de fantasmer sur l’image romantique d’un maître spirituel, qui nous prendrait en charge et auquel on serait lié d’une manière particulière. Pas besoin d’en faire une “histoire” personnelle, romanesque et romantique.
Il faut se rendre compte que le fantasme d’un maître est un piège auquel se raccroche l’ego pour se définir (“je suis le disciple de…”, “celui-ci est “mon” maître spirituel”, etc…). C’est encore là une restriction de soi, à une image faussement identitaire (voir l’article “je suis“)
Pas besoin de s’appesantir et encore moins de s’apitoyer ur soi-même : la vie est toujours présente, à la fois visible et invisible.
Et c’était déjà le cas tandis que nos chers disparus étaient encore présents physiquement.
Donc : haut les coeurs et au boulot !
C’est comme ça qu’on est vraiment ensemble, par le Travail authentique sur le Sentier, et de l’intérieur de soi-même. Pas en cultivant trop de nostalgie paresseuse…