Lorsque quelqu’un nous fait du mal, il y a plusieurs niveaux de conséquences :
- Le corps peut garder la mémoire de la douleur, au point que les instincts intègrent un mouvement de protection à l’égard de ceux qui l’ont meurtri. Et pour réparer cela, il faut du temps. Comme un animal domestique qui a eu peur, met du temps à retrouver son état habituel de confiance et de détente.
- L’âme peut aussi conserver des séquelles, qu’elle mettra généralement encore plus de temps à guérir.
- L’esprit enfin, dans une moindre mesure, peut se croire impacté par le “mal” qu’on a tenté de lui faire.
Il est généralement admis qu’il soit naturel de percevoir du ressentiment à l’égard de ceux qui nous ont fait souffrir, cependant que les morales, religieuses notamment, ainsi que les diverses écoles de psychothérapie nous enjoignent généralement à “pardonner”. Ne serait-ce que pour aller de l’avant, et se reconstruire.
Il me semble qu’il y a trois niveaux de pardon possible, qui sont complémentaires. Nous allons les différencier, de façon à tenter d’y voir plus clair en soi sur ce qui est ressenti.
Pour cela, nous prendrons appui sur le symbole du Portique maçonnique, déjà évoqué sur ce site à plusieurs reprises, tant il est un outil fondamental pour comprendre les lois de la vie.
Ici, le socle brun, représentera la médiocrité ordinaire consistant à nourrir un ressentiment, brut et indistinct (diversement inconscient), voire à exercer une vengeance pleine de haine à l’encontre des désignés coupables. Ce cas de figure traduit un manque de maturité spirituelle, un débordement de l’ego, qui ne concerne pas cet article. C’est pourtant le cas habituel le plus répandu au sein de notre grand collectif indifférencié, où les sujets n’ont pas commencé leur travail d’individuation et sont soumis aux mouvements instinctifs et aux conditionnements culturels de la société qui les porte. C’est classique mais sans intérêt pour nous.
Ici, nous nous intéresserons plutôt aux deux colonnes et au Fronton de l’édifice, pour distinguer 3 niveaux de pardon, qui seuls traduisent une individualisation de la conscience, et trois niveaux superposés de lucidité et d’ouverture de l’Être.
1er niveau de pardon
La colonne noire représente la loi du Talion (bien comprise). Il ne s’agit pas de vengeance, mais de justice, qui n’a rien de personnel ou d’émotionnel. Précisons que nous parlons ici d’une noirceur transparente (qui laisse passer la lumière, telle un diamant noir. Ici c’est une Force authentique, et certainement pas une faiblesse. Cette transparence sous-entend un haut niveau de conscience et de développement de l’individualité, contrairement à la noirceur opaque, qui se rapporte plutôt au socle de l’édifice qu’à la pureté de la colonne noire). Il s’agit-là d’un “passage” transitoire, qu’il est largement possible de dépasser. Des religions se sont pourtant construites sur ce principe, trop souvent confondu avec la noirceur opaque de la simple vengeance qui ne fait que reproduire en écho le mal qui a d’abord été subi (à une époque de la civilisation où l’humanité en était à ce stade de conscience initiatique encore embryonnaire, il était bon d’édicter des lois simples, s’adressant au niveau de conscience collectif).
Ici, la colonne noire correspond au premier niveau de “pardon”, aussi surprenant que cela paraisse : “je ne t’en veux plus, et par cette sanction je rétablis l’équilibre corporel et social entre nous”. Fin de l’histoire. Cela n’a finalement rien de “personnel”… La sanction “oeil pour oeil, etc…” s’accomplit sans ressentiment ni jubilation, elle ne vise qu’à clore l’incident (ou le drame). L’exécuteur de la sanction est investi de sa mission, fermement décidé à poser des limites, au nom du respect de Soi, mais sans hostilité envers autrui.
2ème niveau de pardon
La colonne blanche correspond à une ouverture du coeur. Elle est considérée ici dans sa transparence également, à côté de la fausse blancheur des “grenouilles de bénitier” qui pardonnent de force, à cause d’un dogme mal compris et mal intégré, qui ne consiste qu’en un refoulement et une répression des sentiments véritables, au profit d’un pardon de façade qui n’en est pas un ! Sans toutefois cautionner l’agression, on comprend que celui qui a fait du mal est plus à plaindre qu’à blâmer, et le coeur sanctifié par cet élan de compassion et d’amour radieux ne nourrit pas de ressentiment à l’égard de l’agresseur, ni d’amertume à l’égard de la situation. L’amour domine, pour la vie, pour soi, ET pour autrui, qui ne savait pas ce qu’il faisait. Cela n’empêchera éventuellement pas, comme dans le cas de la colonne noire, de prendre des mesures pour empêcher que cela ne se reproduise. Mais non seulement il n’y a pas de haine, mais il y a même de l’amour, comme il y en a envers un enfant puni à cause d’une erreur, et empêché de la reproduire.
3ème niveau de pardon
Et puis il y a le Fronton, qui unit les deux colonnes et les déborde.
A cette hauteur de vue, on comprend que personne ne peut faire de mal à personne (ni de bien d’ailleurs), pour deux raisons essentielles :
- la personne n’existe pas. elle n’existe qu’en tant que convention mentale, sans consistance vraie (voir à ce sujet notre article : “Qu’est-ce que l’ego ?“)
- le mal n’existe pas, profondément. Il n’existe que superficiellement et artificiellement (voir à ce sujet notre article : “Qu’est-ce que les ténèbres incréées ?”. Précisons que le mal relatif existe, dans le monde de l’illusion mentale, celui dans lequel on se prend pour son personnage (la fameuse personne qui n’a pas de consistance vraie, voir point précédent). On peut blesser votre corps, mais vous n’êtes pas votre corps. On peut humilier votre ego, que vous n’êtes pas non plus. L’être que nous sommes est éternel et sans limite. Rien ne peut l’entamer, en aucune façon. Comprendre cela intellectuellement est déjà un fameux pas en avant. L’intégrer profondément est une autre accession, à laquelle parviennent les êtres avancés dans leur processus de Réalisation spirituelle. Ils sont libres des conditionnements, lucides face à la confusion. Et donc pour eux : il n’y a rien à “pardonner” puisqu’aucun mal n’a été fait, depuis toujours et à jamais…
Il me semble qu’à tout le moins cette distinction permettra à des étudiants sincères de se repérer dans les étapes de leur travail sur eux-mêmes, afin d’y voir clair sur le Chemin à parcourir en Soi, et de progresser en Conscience sur le Sentier.
Bien à vous, chers Amis.