Mourir à soi-même est une expression de la bible, qui peut paraître excessive ou faire peur.
Et pourtant, il n’y a rien de plus banal que de mourir à soi-même, chaque soir avant de s’endormir. Comment faire de ces instants magiques du soir et du matin, des micro pratiques puissantes pour mourir à soi-même, en toute lucidité et en toute « tranquillité » ?
Chaque soir, accepter de mourir à soi-même
Tous les soirs, juste avant de s’endormir, chacun d’entre nous accepte de tout quitter pour s’abandonner au sommeil.
Pour s’endormir, on accepte même de quitter la plus belle des maîtresses, ses amis, son chat, ses passions, ses préoccupations liées au métier, et même tous ses ennuis : tout !
Et là, ayant ainsi accepté de mourir à soi-même, à tout ce qui constitue notre personnalité habituelle, on s’endort enfin, on s’oublie, on perd ce qu’on appelle « la conscience de veille ». Et on passe en mode sommeil.
Après avoir laissé la journée se dérouler, c’est au tour de la nuit d’être expérimentée, sous le mode qui lui est propre.
Même les insomniaques acceptent tôt ou tard de mourir à eux-mêmes, quand ils parviennent enfin à sombrer dans le sommeil !
D’ailleurs, quand on a du mal à s’endormir, c’est peut-être justement parfois parce qu’on a inconsciemment peur de lâcher, peur de « mourir » symboliquement, en quittant l’état de veille (voir notre article sur la « peur de la mort« ).
Il faut pourtant bien affronter ses peurs, et accepter de ne plus contrôler. Peut-être ne se réveillera-t-on pas… Il en va de même, à chaque expiration : le jeu est de se lâcher, de laisser les poumons et tout l’être se vider, au risque qu’il n’y ait pas de suivant remplissage. A chaque instant, c’est peut-être notre dernier souffle. Vivre avec cette conscience aigüe de l’éphémère, procure un intensité à l’expérience, et finalement une tranquillité de fond.
Une micro pratique pour mourir à soi-même
Qu’est-ce qu’une micro pratique ?
Une micro pratique est quelque chose de très facile à mettre en place. Voici celle que nous partageons avec vous, à pratiquer juste au moment de l’endormissement.
Avant de plonger dans le sommeil, dîtes-vous juste comme si vous alliez glisser sur un toboggan :
- “C’est d’accord !”
- Ou bien “allez, j’accepte de lâcher pour ce soir”.
- Ou encore “c’est bien comme ça, demain sera un autre jour…”.
- Ou toute autre formule courte de votre choix, qui traduira votre adhésion au fait de lâcher et de s’abandonner.
Cela aide évidemment à lâcher, mais aussi à se relever du bon pied, le lendemain matin.
Et à propos du matin justement, nous allons maintenant parler du réveil, avec une autre micro pratique qui va nous aider à ne pas retomber tout de suite dans la fausse identité qu’est notre personnalité.
Chaque réveil est l’occasion de célébrer le fait de s’éveiller spirituellement.
Chaque matin, s’éveiller pour de vrai !
D’ordinaire, on n’est même pas encore sorti du lit, qu’on a déjà repris le manteau de fumées, dont on s’affuble tout seul, parce qu’on a fini par croire qu’on n’était que cela (toutes nos préoccupations de la veille, auxquelles on s’identifie).
Ce n’est qu’une habitude, mais tant que ce réflexe est en place, cette fausse identité se substitue dès le réveil au « je suis » que nous sommes, ne laissant aucune place pour que l’être profond puisse s’exprimer, et ne laissant donc que très peu de chances d’être soi-même. Tout cela n’est que conditionnements du passé, et répétition de mémoires.
Pourtant, à l’évidence, c’est d’hier, c’est du passé : c’est déjà mort !
Et bien, justement dans cette micro pratique de vie, il va s’agir de mourir à soi-même dès le matin, avant même de se lever du lit, avant de revêtir la peau de la personnalité pour laquelle on se prend à tort.
Ordinairement, dès le réveil, après avoir tout quitté pendant le sommeil, on retrouve immédiatement :
- nos croyances de la veille,
- nos fausses identités, les traits de caractère auxquels nous nous sommes peu à peu identifiés,
- toutes nos sacrées “choses à faire aujourd’hui”
- toutes les contrariétés associées, les peurs, les regrets, les souffrances par lesquelles on se définit, etc…
Dans ces cas-là, on vit dans la mémoire. Il n’y a pas de place pour le présent, tant le mental le recouvre de ses pensées, toutes issues du passé (même une pensée à propos du futur, vient du passé).
Au contraire, cette pratique d’éveil consiste à considérer qu’aujourd’hui : tout est neuf, et qu’il n’y a pas de passé. Il faut donc se débarbouiller de ce fatras de la veille. A défaut de quoi, on peut bien aller doucher son corps, la conscience reste embarrassée de tous ces encombrements dépassés, très lourds à porter !
Protocole de réveil allongé
On peut se rappeler, avant même de mettre un pied hors du lit, qu’aujourd’hui est un nouveau jour : « Je n’ai ni passé, ni futur. Je ne suis pas né, et je ne mourrai pas, car « Je suis » ! (voir cet article sur la « conscience de soi« )
Voyez si vous pouvez simplement rester un instant sans identité. Rester neutre en quelque sorte, dans la pure conscience. Ce plan de conscience se trouve sous le voile que le mental ajoute par-dessus.
Concrètement : demeurez simplement dans votre corps, appréciant les sensations corporelles, sans aucune intention de quel qu’ordre que ce soit. Sans interprétation, sans jugement, sans commentaire. Juste des sensations, sans pensées ajoutées.
Il s’agit juste de se maintenir dans le « maintenant », sans rien s’approprier, sans investir ce “moi” qui s’accapare l’instant présent, pour l’instrumentaliser. La croyance en un « moi séparé » s’empare de nous dès le réveil, et aussitôt elle crée un intérieur et un extérieur. Le « moi » se raconte aussitôt tout un tas d’histoires fantaisistes à propos d’enjeux, de priorités, de contraintes, de choix à faire, d’efforts à faire pour résoudre milles problèmes… Et tout cela n’est qu’un rêve, dont le jeu consiste à s’éveiller, au lieu de s’entortiller à l’intérieur.
Rester simplement là avec le corps, allongé encore quelques instants dans votre lit, à éprouver les sensations corporelles, qui se présentent. Tout est neuf.
Si une préoccupation s’élève dans le champ de conscience, ne pas chercher à l’empêcher, juste la voir sans la suivre. Du moins pas tout de suite. Pas encore…
Revenez d’abord aux sensations corporelles, sans mettre d’étiquettes dessus.
Levez-vous et restez debout immobile
Enfin, après quelques secondes ou minutes de cette expérience pure, se lever pour apprécier la sensation de la verticalité.
Là, debout près du lit, demeurer immobile encore quelques secondes, en fermant éventuellement les yeux. Simplement respirer : se laisser être respiré. Sans se croire être “quelqu’un” qui respire.
Ne rien faire. Jouir de la quiétude, lorsqu’il n’y a encore personne à l’intérieur : sans personne pour dire « c’est moi qui suis », il y a juste l’être !
Là, il est possible enfin d’être soi-même, parce que l’ego ne prend pas encore toute la place, du fait des automatismes du mental qui ont été stoppés momentanément.
Sentant les plantes de pieds au sol, voyez que ce ne sont pas « vos » pieds, mais « les » pieds.
Allez encore plus loin, qui dit que ce sont des pieds ? Le mental, ses représentations, ses automatismes. Délibérément, ne reprenez pas pour argent comptant ces conventions. Refusez de nommer ces sensations « des pieds ». Voyez juste les sensations, sans les étiqueter.
Si vous tenez pourtant à le faire : dîtes-vous plutôt (et ce sera une expérience très intéressante, vous verrez) : Les pieds de Dieu se manifestent dans le champ de Sa conscience. Il sont en contact avec « Son » sol. La journée qui commence se manifeste à travers des perceptions dans le champ de la conscience que je suis…
Restez ainsi quelques instants à tout attribuer à Dieu, à renoncer à toute arrogance personnelle, consistant à s’approprier quoi que ce soit. Voir aussi cet article complémentaire : « Qu’est-ce que l’ego ? »
L’évangile enseigne à Mourir à soi-même
L’idée de « mourir à soi-même » est souvent évoquée dans le Nouveau Testament.
L’Église d’aujourd’hui voudrait parfois rendre l’accès à la religion moins rébarbatif, et cherche à adoucir le message du Christ Jésus, pour en faire un message plus facile à aborder. Cependant, l’Initiation véritable est sans compromissions. Et « l’Enseigneur » Jésus, ne mâchait pas ses mots dans son enseignement. Il ne cherchait pas à plaire à l’ego. Il ne cherchait pas à séduire des « clients » ou recruter des fidèles.
Depuis toujours et à jamais, le Verbe s’exprime pour libérer la conscience de ses fausses identifications. Un Point c’est tout…
(… Evangile de Luc 14-27)
26 Si quelqu’un vient à moi et n’est pas prêt à renoncer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
27 Celui qui ne porte pas sa croix, et qui ne me suit pas, ne peut être mon disciple.
(… Evangile de Matthieu 16-24)
21 A partir de ce moment, Jésus commença à exposer à ses disciples qu’il devait se rendre à Jérusalem, y subir de cruelles souffrances de la part des responsables du peuple, des chefs des prêtres et des spécialistes de la Loi, être mis à mort et ressusciter le troisième jour.
22 Alors Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches : Que Dieu t’en préserve, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas !
23 Mais Jésus, se retournant, lui dit : Arrière, « Satan » ! Eloigne-toi de moi ! Tu es pour moi un obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu ; ce sont des pensées tout humaines.
24 Puis, s’adressant à ses disciples, Jésus dit : Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive.
25 Car celui qui est préoccupé de sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera.
(Evangile de Jean 3)
1 Il y avait un homme qui s’appelait Nicodème ; membre du parti des pharisiens, c’était un chef des Juifs.
2 Il vint trouver Jésus de nuit et le salua en ces termes : Maître, nous savons que c’est Dieu qui t’a envoyé pour nous enseigner car personne ne saurait accomplir les signes miraculeux que tu fais si Dieu n’était pas avec lui.
3 Jésus lui répondit : Vraiment, je te l’assure : à moins de renaître d’en haut, personne ne peut voir le royaume de Dieu.
4 – Comment un homme peut-il naître une fois vieux ? s’exclama Nicodème. Il ne peut tout de même pas retourner dans le ventre de sa mère pour renaître ?
5 – Vraiment, je te l’assure, reprit Jésus, à moins de naître d’eau, c’est-à-dire d’Esprit, personne ne peut entrer dans le royaume de Dieu.
(… Epitre de Paul aux Romains 6)
6 Comprenons donc que l’homme que nous étions autrefois a été crucifié avec Christ afin que le péché dans ce qui fait sa force soit réduit à l’impuissance et que nous ne soyons plus esclaves du péché.
7 Car celui qui est mort a été déclaré juste : il n’a plus à répondre du péché.
8 Or, puisque nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
9 Car nous savons que Christ ressuscité ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
10 Il est mort et c’est pour le péché qu’il est mort une fois pour toutes. Mais à présent, il est vivant et il vit pour Dieu.
Mourir à soi-même est à la fois :
- un événement unique, qu’on pourrait qualifier d’éveil spirituel. Symboliquement, ce serait le moment du baptême.
- et le continuum de toute la vie initiatique.
Par le baptême, le fidèle est invité à mourir à son ancienne manière de vivre. L’immersion dans l’eau symbolise la mort au « vieil homme », tandis que la sortie de l’eau symbolise la résurrection de l’Esprit.
Saint Paul explique que mourir à soi-même, c’est « être crucifié avec Christ », de sorte que notre vielle identification restrictive et ténébreuse cesse, afin que la conscience éclairée (Christ) vive en nous (Galates 2.20).
L’évangile ne décrit pas le fait de mourir à soi-même comme une option : elle est l’essence même de l’engagement sur le Sentier.
C’est une démarche radicale.
Ceux qui, à juste titre, ont toujours peur du fanatisme et de l’intégrisme, feraient quand même bien de méditer de nombreux passages de l’évangile, où il est question d’affirmer l’Esprit sans demi-teintes.
Ainsi, Saint Jean dans l’apocalypse, va même jusqu’à retraduire les propos tranchants de « celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles » :
(…Apocalypse 3.15-16)
- 15 Je connais ta conduite et je sais que tu n’es ni froid, ni bouillant. Ah ! si seulement tu étais froid ou bouillant !
- 16 Mais puisque tu es tiède, puisque tu n’es ni froid, ni bouillant, je vais te vomir de ma bouche.
- 17 Tu dis : Je suis riche ! J’ai amassé des trésors ! Je n’ai besoin de rien ! Et tu ne te rends pas compte que tu es misérable et pitoyable, que tu es pauvre, aveugle et nu !
- 18 C’est pourquoi je te donne un conseil : achète chez moi de l’or purifié au feu pour devenir réellement riche, des vêtements blancs pour te couvrir afin qu’on ne voie pas ta honteuse nudité, et un collyre pour soigner tes yeux afin que tu puisses voir clair.
« Le ciel se prend avec violence ! » – Sentence traditionnelle du Sentier de voie orale