La principale posture d’enracinement en Qi Gong est connue sous le nom de posture de l’arbre : Zhan Zhuang (ou littéralement : la posture du piquet).
Comment s’y installer ? Quels en sont les bienfaits ?
La posture d’enracinement de l’arbre est très simple, mais également très exigeante, comme vous le constaterez en vous y essayant. Voici quelques indications pour la prendre convenablement.
Pourquoi vouloir s’enraciner ?
Nous avons tous déjà connu des périodes où nous étions un peu à la dérive. Nous manquions de points de repère, nous étions “à côté de nos pompes”.
Nous avons tous rencontrés ces personnes tellement sympathiques, mais un peu perchées, qui manquent de tellurisme, et sont tellement sensibles, qu’elles ramassent toutes les maladies qui passent. Elles sont hyper touchées par une simple remarque ou le moindre geste des autres à leur endroit. Leur peau marque le moindre choc. On dirait qu’un simple courant d’air suffit à les enrhumer. Et pourtant, ces personnes sont globalement en Bonn e santé. Mais elles sont hyper vulnérables, et encore plus sur le plan émotionnel. Parce qu’elles manquent d’enracinement et qu’elles sont comme mal “incarnées” dans leur corps. C’est comme si elles n’étaient pas complètement dans la vie, malgré tous les efforts. On en trouve de nombreux cas, dans les cours de yoga, qui malheureusement les font travailler sur leur mauvais côté : le coté éthéré, relaxation, “encens et petit oiseaux”… Ce qu’il leur faudrait en complément de leurs excellentes séances d’étirement, c’est de travailler l’énergie primordiale, à travers la pratique d’une posture d’enracinement, qui remet bien les yeux en face des trous !
Chacun dispose du corps qu’il a, lui-même tributaire d’une trajectoire de vie jusqu’ici, à laquelle on ne peut plus rien changer.
On peut sans doute modifier la forme du corps à partir de régimes alimentaires et d’exercices appropriés, et on est bien sûr libre de le faire (mais là n’est pas ici notre propos).
Nous parlerons ici du corps, comme moyen de s’incarner dans la vie, de s’enraciner dans le présent, pas comme d’un instrument au service de l’ego, ou comme image de soi séduisante, à laquelle s’identifier.
S’enraciner c’est, d’abord physiquement, cesser ce mouvement permanent de la pensée qui voudrait tout contrôler. Il ne s’agit pas ici de tenter de stopper le mental, mais de lâcher prise sur le besoin de contrôle, en n’alimentant plus toutes ces pensées qui nous dispersent et finalement dirigent nos vies (il faut prendre tel médicament, faire attention à ce qu’on mange, pratiquer telle ou telle activité physique, acheter tel nouveau produit, se dépêcher pour ceci, prendre garde à cela… tout cela est très compliqué, et consomme beaucoup d’énergie à s’agiter mentalement après toutes ces préoccupations !).
Nous allons parler ici d’enracinement dans la grande vie qui nous traverse, au lieu d’errer au gré des vagues mentales, dans mille et une tentatives d’aller moins mal. Pour nous aider, un entrainement précieux consiste à pratiquer une posture d’enracinement.
Posture d’enracinement statique
Il existe de nombreuses postures statiques en Qi Gong, aux puissants effets énergétiques. (Voir aussi notre article sur “Les grands principes du Qi Gong“).
Nous allons donner l’exemple d’une des plus connues d’entre elles. La posture d’enracinement dite de l’arbre.
Elle se pratique en se visualisant comme un arbre, des racines sous les pieds, une connexion avec le ciel par la tête, et le tronc est symbolisé par les bras qui semblent embrasser un arbre.
Cette posture d’enracinement est encore plus vivante si on la pratique face à un arbre et qu’on communie silencieusement avec cet arbre.
Les forêts de pin sont reconnues très favorables à la pratique du Qi Gong et de sa célèbre posture d’enracinement.
Les bénéfices de la posture d’enracinement de l’arbre
Cette remarquable posture d’enracinement attire l’énergie de l’environnement, pour l’emmagasiner dans les reins.
Les reins, en médecine chinoise traditionnelle, sont comme la batterie du corps. Ce sont eux qui gèrent la réserve de vitalité du corps. Ils la stockent et lui distribuent selon ses besoins.
D’une façon générale on peut dire qu’une posture d’enracinement debout (comme la posture de l’arbre ou la posture de Wu-Ji) offre de nombreux avantages (voir à ce sujet notre précédent article : “les bienfaits du Qi gong”) :
- Etirement de l’axe vertébral et et relâchement des tensions dans les trapèzes
- Ouverture des méridiens et circulation de l’énergie dans tout le corps unifié
- Relâchement des tensions musculaires et amélioration des circulations (sanguine et énergétique) dans tout le corps
- Détente respiratoire, diminution du stress
- Apaisement du mental et des émotions, établissement d’un grand calme favorisant la prise de recul.
- Développement de l’attention et entraînement à la présence
- Connexion aux énergies du ciel et de la terre : notre corps fonctionne à la manière d’un récepteur recevant de l’énergie cosmique et de l’énergie tellurique, qui se rejoignent dans l’homme.
- Augmentation de la confiance en soi et de la force intérieure
Dans les arts martiaux, la posture d’enracinement statique (Dong gong) représente la source de tout mouvement. Comme un ressort que l’on tend, mais qui reste immobile, jusqu’à ce qu’on libère sa force.
Structure de la posture d’enracinement
Pieds parallèles et écartés de la largeur des hanches (ou des épaules).
Jambes fléchies aux trois articulations (chevilles, genoux, hanches). Genoux à l’aplomb des orteils
Sensation d’ouverture, comme si on tenait un ballon entre les jambes (l’intérieur des pieds est un peu creusé comme une ventouse, qui aspire l’énergie du sol). Un autre gros ballon de plage entre vos bras, et des petites balles sous vos aisselles ouvertes pour bien laisser circuler l’énergie.
Tête suspendue (recul du cou) et coccyx relâché (pas de bascule de bassin exagérée), comme suspendu.
Poids à l’avant des talons.
Un peu comme si vous étiez assis sur un tabouret de bar.
Épaules et hanches bien relâchées. Poitrine détendue et un peu rentrée pour ouvrir l’espace entre les omoplates.
L’énergie des épaules s’effondre dans les reins. Puis elle coule naturellement des reins vers les pieds, sentant tout le poids du corps bien étalé sur la plante des pieds.
Posture d’enracinement, comme un arbre immobile
- Un arbre n’est jamais complètement immobile, ne serait-ce que par le léger mouvement de ses feuilles. Par ailleurs, le jour il grandit vers le haut, tandis que la nuit il croit par les racines vers le bas. Vous pouvez observer les micro mouvements de la vie qui traverse tout le corps : mouvement respiratoire, jeu des tensions et relâchements, mouvements spontanés du corps qu’on ne cherche pas à retenir (ni à encourager) : éventuellement divers sursauts, frissons, bâillements, et soupirs.
- La position de l’arbre peut être maintenue une ou deux minutes au début, puis progressivement une dizaine de minutes, afin que les tensions viennent à lâcher et que l’énergie commence à circuler dans tout le corps. Notamment dans les mains. Laisser l’énergie des mains s’écouler dans le bas-ventre, auquel elles font face.
- Par la suite, augmenter chaque semaine d’une minute par exemple, jusqu’à parvenir à tenir confortablement la posture de l’arbre entre 20 et trente minutes.
- Le pratiquant reste ainsi plusieurs dizaines de minutes, voire une 1h ou davantage, à savourer la vie qui se manifeste en s’écoulant dans le corps.
Na pas créer d’épaule
Dans cette posture d’enracinement, il faut garder les épaules souples et détendues.
Pourquoi ?
Parce que les trapèzes condensent les peurs issues de la croyance que nous sommes un être séparé et en danger. Du coup par défense, on monte les épaules. Donc, dans tous nos gestes, quand les épaules sont relevées, c’est à la fois un signe de stress, et une cause de stress. Les épaules relevées bloquent l’énergie dans le haut du corps, entraînant souvent avec elles, d’autres tensions associées : nuque, mâchoires, front. Toutes traduisent un fonctionnement depuis l’ego (la fausse croyance que nous serions réduits à n’être que ce petit personnage à l’avant-plan de la conscience). Donc, si nous pratiquons avec les épaules relevées, c’est comme si nous pratiquions depuis l’ego, avec notre tête, en renforçant notre fausse identité.
Non seulement cela bloque la circulation d’énergie que l’on souhaite encourager (donc c’est incohérent et inapproprié) mais également cela entretient l’illusion dont on souhaite s’émanciper : celle d’un ego qui ferait du Qi Gong ou de la spiritualité. C’est ce que Chögyam Trungpa appelait “le matérialisme spirituel”, une sorte de récupération de la spiritualité par l’ego.
Consignes particulières
- Relever l’anus et creuser la voûte plantaire en recroquevillant un peu les orteils, de façon à pomper l’énergie dans le sol
- Coller le bout de la langue au palais, à la racine des dents.
- L’énergie circule entre les doigts connectés, sans intention de votre part. Puis elle se déverse naturellement dans le bas-ventre auquel elles font face. L’énergie s’accumule ainsi dans les reins et tout le bas ventre.
- Accompagner l’énergie dans le circuit de la petite circulation céleste à partir d’une respiration inversée (inspirer en serrant le ventre pour pousser l’énergie dans le dos de bas en haut, pui s expirer en poussant légèrement le ventre en avant à la fin de l’expiration)
Observer les tensions dans la posture
- Observez les tensions tranquillement, sans chercher à intervenir dessus.
- Sourire va aider à les laisser se dissoudre dans le champ de votre attention bienveillante …
- Si une douleur survient dans les bras, laisser tomber les bras quelques instants, puis reprendre la position. Idem pour toute autre partie du corps qui se manifesterait de façon trop douloureuse.
- A la fin de l’exercice : bien relâcher les membres en évacuant les tensions, se masser le visage et tout le corps, puis marcher un peu.
Comment placer son attention ?
1- Attention portée d’abord sur la structure anatomique de la posture. Veiller à la verticalité et l’alignement. Sentir l’enracinement dans le sol, la stabilité.
2- Constater les tensions et les accueillir depuis un espace plus vaste qu’elles. L’ego, qui sous-tend les contractures, est alors vu. Et, au lieu d’être encouragé par l’identification inconsciente, ou bien inutilement combattu, il est alors simplement accueilli, comme tout le reste, depuis l’arrière plan aimant et ouvert de la conscience primordiale et impersonnelle. Une détente s’en suit, qui fait couler l’énergie, tandis que les résistances du corps s’effondrent vers le bas du corps. Se laisser bercer par le va et vient de l’abdomen, aide à cette détente. Le calme peu à peu apparaît, et une sensation de plaisir peut être appréciée. Le plaisir simple de sentir le corps vibrer. Aimer le corps, le laisser se manifester, en l’accompagnant avec affection. Sans histoires.
3- Observer la légèreté (après avoir suivi la pesanteur pour descendre dans la profondeur), en appréciant le souffle. Voir du coin de l’oeil que des pensées s’élèvent dans le ciel bleu de la pure conscience, mais sans s’y attacher et sans les repousser non plus (comme pour les tensions corporelle de tout à l’heure). Rester ouvert, souriant. Constater qu’à la fin de l’expire, il y a un moment d’unité à poumons vide. Apprécier le moment d’unité à la fin de l’inspiration, à poumons pleins. Puis expérimenter que malgré les mouvements du corps, l’inspiration comme l’inspiration sont également vides. Tout est Un, Comme s’il n’y avait pas 4 phases, mais une seule, se manifestant en surface par 4 transformations. Adorables, mais sans consistance, en “comparaison” de leur unité…
4- Sensation de la verticale qui s’érige d’elle-même, depuis cette disponibilité (Terre) affectueuse (Eu) et souriante (Air). Sensation d’être relié au ciel par le sommet de la tête. L’illusion de la personnalité en train de pratiquer se dissout. Que reste-t-il ? Personne. Comme le disait Parménide : “il y a…”, ou comme le disait Maharshi : “je suis”.
5- Et là, cela tend à rejoindre l’éther, le 5ème élément dans la classification qu’en a proposé Aristote. Conscience de l’instant présent hors du temps linéaire.
Juste : “présence”…
Posture de l’arbre en yoga
« Depuis les origines les plus lointaines du monde, l’homme s’est toujours identifié à l’arbre et en a fait un symbole de la totalité de son être. Le yoga ne sépare l’homme ni de la terre, ni du ciel.
Les dieux sont en lui. Et dans cet exercice l’homme les réunit symboliquement »Shri Mahesh
La posture de l’arbre en yoga, Vrikshasana, est une position très connue du grand public, qui n’a rien à voir avec la posture d’enracinement que nous venons de décrire et qui vient du Qi gong chinois.
Elle requiert un calme absolu, ainsi qu’une grande concentration. elle nécessite d’être bien centré dans le moment présent. La respiration est comme toujours le moyen par excellence de parvenir à cette concentration totale. Être en phase avec soi-même est nécessaire pour éviter de perdre l’équilibre.
Consignes de base de la posture de l’arbre en yoga :
- Placer les pieds distants de la largeur des hanches.
- Transporter le poids du corps sur une jambe.
- Tranquillement, amener l’autre pied à se déposer sur la cuisse, sur la cheville ou en bas du genou (plus le pied est haut, plus l’équilibre sera difficile à atteindre) :
- le pied peut rester au sol sur la pointe des orteils
- il peut s’appuyer sur l’autre cuisse en appuyant le talon au périnée
- et la jambe peut venir se placer en demi-lotus : laisser tomber le genou pour un meilleur équilibre
- 3 possibilités pour la position des mains
1) pouces et index joints en jnana-mudra, bras tendus, se relier à muladhara
2) mains en anjali mudra (mains jointes placées devant le cœur) en lien avec le cœur
3) bras tendus au-dessus de la tête en lien avec ajna, en mains en anjali mudra - Cette posture peut se faire aussi les yeux fermés ce qui permet de retourner la vue vers l’intérieur, le point extérieur devient le point intérieur, c’est un travail d’intériorisation des sens ou pratyahara. Sinon, fixer un point devant soi et maintenir l’équilibre.
- Profiter d’une inspiration, amener les bras en prière au cœur ou en prière au ciel.
- Lors d’ une expiration, ramener les bras et la jambe dans la position de départ.
- Puis, faire la même chose de l’autre côté.