Voici une fable du célèbre et truculent Nasr Eddin, un personnage mythique de la tradition Soufie.
La tradition regorge de ces histoires courtes, drôles et pleines d’Esprit, offrant un croche-pattes au mental raisonnable, au profit d’une irruption par le rire de la perspective non duelle.
Pour se détendre ensemble, voici de quoi nourrir une méditation du sourire 🙂
A cette époque, les gens aimaient bien embarrasser Nasr Eddin avec des questions oiseuses, ou carrément impossibles à trancher.
Ainsi, un jour, quelqu’un lui demande :
– “Nasr Eddin, toi qui est versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile, du soleil ou de la lune”.
Voici quelle fut sa réponse :
– “La lune, sans aucun doute… Elle éclaire quand il fait nuit alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour.”
Des larmes au rire : un maître de l’absurde
Dans la petite ville d’Akshéhir où il habite, Nasr Eddin passe pour très savant.
Un jour, une vieille paysanne vient le trouver, une lettre à la main. C’est la première fois qu’elle en reçoit une, et elle ne sait pas lire.
— Nasr Eddin, je te prie, lis-moi cette lettre. Pourvu qu’elle ne m’apporte pas une mauvaise nouvelle !
Nasr Eddin prend la lettre et la parcourt des yeux. Au fur et à mesure qu’il avance dans sa lecture, sa physio- nomie s’assombrit et soudain il fond en larmes, au grand émoi de la paysanne.
— Ô s’il te plaît, ne me fais pas languir davantage. J’ai perdu ma sœur Aïcha, c’est cela ?
Mais Nasr Eddin continue sa lecture sans répondre et, peu à peu, les larmes laissent place à un sourire de plus en plus épanoui, qui, à la deuxième page, se transforme en un éclat de rire, en un fou rire irrépressible qui ébranle jusqu’à son turban.
La vieille n’y tient plus:
— Mais tu vas finir par me faire mourir ! D’abord tu pleures, ensuite tu ris. Aie pitié de moi !
— Ah! ma bonne vieille, réussit enfin à articuler le sage, ne te fais aucun souci. Si je pleure, c’est tout simplement parce que tu ne sais pas lire.
— Mais pourquoi ris-tu, alors?
— Parce que moi non plus.
La vache et le prisonnier de ses projections
La vache de Nasr Eddin est morte et il a déjà passé deux jours à prier sur le cadavre.
L’imam alerté par les voisins s’en offusque, trouvant la chose inconvenante et même sacrilège :
— Hodja, que fais-tu ? Tout le village est choqué par ton comportement.
— Pourquoi donc? Quel mal y a-t-il donc à prier Allah le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux pour qu’Il me ressuscite ma bête?
— Et tu crois qu’Il va te répondre ?
— Ton manque de foi m’étonne, imam. Tu devrais savoir qu’Allah répond toujours quand on L’appelle sin- cèrement.
L’imam, décontenancé, s’en va mais quand il revient le lendemain il trouve le Hodja prostré dans un coin de l’étable.
— Alors… Allah t’a-t-Il répondu ?
— Oui : C’est non !
La logique floue
Un voisin de Nasr Eddin, vient un jour lui demander un. service. Ce dernier avait autrefois témoigné pour lui dans un procès. en toute logique, Nast Eddin le Saint homme, aurait dû lui être redevable. Et pourtant…
– Le voisin : « Veux-tu me prêter ton âne ? Je dois porter mon grain chez le meunier. »
— Par Allah ! Tu n’as pas de chance. Je viens justement de le prêter à quelqu’un d’autre.
À ces mots, l’âne de Nasr Eddin, qui n’en est pas à sa première bévue, se met à braire stupidement derrière la porte de l’étable.
— Hé! Hodja, je n’ai pas d’oreilles aussi grandes que lui mais ce que j’ai entendu, je l’ai entendu! Tu m’as menti.
Nasr Eddin devient rouge de colère:
— Va-t’en de ma brise, gredin ! Si tu crois plus la parole de mon âne que la mienne, nous n’avons rien à faire ensemble !
Nasr Eddin est un maître de la Non dualité. Son humour toujours décapant vient rogner sur nos illusions et contredire nos attentes, dans un ordre social établi, reflet d’un mental qui travestit la force du Réel.
Aussi cultivé qu’un âne…
Nasr Eddin a répandu à la Cour le bruit qu’il a un âne qui sait lire. Timour Leng, fatigué des facéties et
des absurdités de son bouffon, lui fait dire que, s’il ment, il recevra de sa main trente coups de bâton. Nasr Eddin va donc chercher son âne, qu’il a dressé, avec force carottes et morceaux de sucre, à braire tant et plus dès qu’on lui met un livre sous les naseaux.
Il fait coucher la bête devant Timour.
— Qu’on apporte un livre, crie alors Nasr Eddin. Mais pas trop difficile, tout de même !
À peine le livre est-il devant lui que l’âne se met à braire tant et plus de manière stupide ; son maître ne manque pas de lui tourner les pages.
Timour entre dans une violente colère:
— Face de goudron ! Fils de chien ! Tu mas trompé ! Ton âne ne sait que braire comme tous les autres. Apportez-moi le bâton, il va t’en cuire !
— Seigneur, ne commets pas d’injustices, je t’en prie, lui répond Nasr Eddin. Je n’ai pas dit qu’il parlait. J’ai dit qu’il lisait, mais comme un âne naturellement !
Timour est décontenancé.
— Tu es un retors mais tu ne vas quand même pas me faire croire qu’il comprend quelque chose !
— Oh ! ça, pour savoir ce qu’il comprend, il faudrait être un âne soi-même !